Ne souriez pas, vous êtes filmés !

, par La Rédaction

Les caméras de vidéosurveillance se multiplient dans Mâcon. Certaines attirent le regard, d’autres ne sont visibles que quand on s’habitue à lever la tête. Répondant aux promesses de ses campagnes électorales, M. le Maire fait de la ville l’une des plus surveillées du pays. Cette situation mérite de s’appesantir sur les chiffres, sur les raisons de cette évolution, enfin sur l’efficacité et les alternatives à ces techniques de sécurisation ou de tranquillisation.

Le numéro 3 au format PDF :

Quelle vidéosurveillance à Mâcon ?

Dans le magazine municipal Mâcon Notre Ville de juin 2021 (n° 58), dans un article intitulé « De la vidéoprotection pour la sécurité de tous », il est indiqué que 180 caméras sont installées en ville. Parmi elles, 104 sont raccordées à un centre de supervision, avec visionnage en direct et conservation des images pendant 21 jours. Ces chiffres supposent, avec une population de 34 000 habitants, une caméra pour 190 habitants, ou 530 caméras pour 100 000 habitants, deux proportions qui nous permettent la comparaison avec d’autres villes.

Pour le dire simplement, c’est énorme ! On est loin de Londres, certes, qui compte 7 000 caméras pour 100 000 habitants, bien en-dessous de la ville la plus surveillée de France, Nice et ses 771 caméras pour 100 000 habitants en 2019 [1]. Mais Mâcon fait partie des villes à la plus lourde vidéosurveillance si l’on compare avec les cités de taille équivalente, derrière Châteauroux et environ 700 caméras pour 100 000 habitants, à équivalence de Roanne (205 pour 34 000 en 2020), bien devant Villefranche-sur-Saône (132 pour 36 000 en 2015), Montluçon (60 pour 35 000 en 2020), Épinal (30 pour 32 000 en 2019)...

Une caméra installée en juillet 2021 à l’entrée du cimetière de Flacé

Il est difficile d’obtenir ces chiffres, la presse se faisant davantage l’écho de repérages réussis à la suite d’agressions ou de dégradations, sur lesquels il est important de revenir, que d’informations globales régulières sur la place et les raisons de la vidéosurveillance dans les villes. Il est par exemple compliqué d’avoir des cartes, officiellement, de la vidéosurveillance. La mairie de Mâcon, par exemple, refuse de communiquer le plan de réseau de surveillance publique. « Ces documents, nous dit-on, n’ont pas un caractère communicable dès lors que leur divulgation est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique que protègent les dispositions du d) du 2° de l’article L311-5 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). » Il faut entendre qu’il n’y a pas d’interdiction de les communiquer, mais qu’il n’y a pas de caractère obligatoire à le faire.

De même il n’est pas possible de connaître par la voie officielle les caractéristiques des caméras installées, leur modèle ou leur portée. Toutefois des règles existent quant à l’impossibilité de filmer directement une sortie de propriété par exemple, sans qu’on puisse ainsi vérifier facilement si cette règle est oui ou non respectée, d’autant qu’il est refusé de transmettre des images neutres des caméras incriminées, toujours au titre d’une potentielle atteinte à la sécurité publique.

Seuls les éléments financiers sont communiqués, à Mâcon. C’est d’ailleurs, comme pour tout domaine, une obligation [2]. On peut ainsi savoir qu’à Mâcon, « le budget alloué à la vidéoprotection en 2020 est de 12 000 € pour la maintenance et de 100 000 € pour l’installation de dispositifs de vidéoprotection (fourniture, pose, génie civil, raccordement, mise en service...) », que « le budget consacré à la vidéoprotection en 2021 est de 15 000 € pour la maintenance et de 233 984 € pour l’installation de dispositifs de vidéoprotection. » Il existe trois types de caméras, pour l’essentiel, la caméra la plus fréquemment visible, noire ou blanche de forme circulaire, coûtant environ 3 000 euros TTC [3].

Type de caméra fréquent, pour environ 3000 euros (ici près de la médiathèque)

Le coût est logique, au regard du parc installé. Le budget annuel global est dans la moyenne nationale des villes de 10 000 à 100 000 habitants. La Gazette des communes, en 2009, indique que « les bureaux d’études évaluent le prix d’une caméra entièrement installée entre 15 000 et 20 000 euros » [4]. Il est probable toutefois que la gestion du nouveau centre de supervision urbain ne soit pas compris dans ces sommes communiquées qui, rappelons-le, proviennent des impôts collectés.

Une carte pour comprendre

Vision globale du réseau de vidéosurveillance à Mâcon

Sans carte officielle, il y a des alternatives possibles. Ainsi des sites web comme Sous-Surveillance.net [5] proposent des cartes de repérage des caméras, en France, par commune. Le travail n’ayant pas été effectué pour la ville de Mâcon, nous avons d’abord choisi de dresser un repérage via le service UMap du site OpenStreetMap.fr, travail ouvert à la participation de tous [6].

Cette carte recense les points de surveillance publique, en noir, soit une centaine à ce jour relevée, avec parfois plusieurs caméras, deux voire trois, par point de surveillance. Nous avons aussi indiqué certains points de surveillance sur des espaces commerciaux, en rose, comme ils concernent des espaces ouverts au public. Cette carte permet plusieurs remarques sur la vidéosurveillance à Mâcon.

  • Les zones industrielles et commerciales ne sont que peu surveillées par les pouvoirs publics, notamment parce que les entreprises disposent généralement de leurs propres outils de vidéosurveillance. Il est important de noter à ce niveau que ces systèmes privés sont plus efficaces contre les problèmes que la vidéosurveillance sur voie publique.
  • Un espace regroupe environ 10 % des caméras, à savoir le stade Griezmann, ce qui peut apparaître comme un choix surprenant, avec environ une caméra tous les cinquante mètres le long de l’avenue Paris 2024. C’est comme s’il fallait surveiller que ne s’envole cet espace quasiment inutilisé au coût initial de 7 millions d’euros.
  • Le centre-ville est particulièrement surveillé, dans une logique commune à l’ensemble des grandes villes, quand les petites communes, elles, surveillent surtout les entrées et sorties de leur périmètre. Cette vidéosurveillance de centre-ville est visible, surtout présente pour rassurer les badauds, les touristes. Elle permet aussi de surveiller certains axes de circulation, sur différents croisements le long du quai Lamartine par exemple.
  • Les quartiers relativement aisés, hors centre-ville, semblent peu équipés en caméras, si ce n’est Flacé, ainsi de la rue Gérard Philipe jusqu’au rond-pont des Médaillés militaires, en outre quelques caméras éparses et là encore bien visibles. Les vols de drapeaux au Mémorial, en janvier 2021, peuvent expliquer ces installations, d’autant que cette volonté de surveillance est clairement exprimée alors dans l’article associé du Journal de Saône-et-Loire [7]. De même le vol rapporté de fleurs dans le même journal, en mars 2021 [8], peut expliquer l’installation d’une caméra sur l’entrée du cimetière de Flacé en juillet, caméra coûteuse aussi inutile que rassurante et qui aura sans doute aussi le mérite de vérifier que les locataires du lieu se tiennent correctement. Notons qu’il n’y a pas de caméras de vidéosurveillance à Charnay-lès-Mâcon, mais qu’un projet est en cours pour en installer 36 dans les mois à venir, dont 20 sur la voie publique, pour un budget de 180 000 euros.
  • La plupart des établissements scolaires sont surveillés.
  • Les quartiers les plus sensibles de la ville, comme les Saugeraies, les Gautriats, les Blanchettes, La Chanaye, voire Marbé, sont peu surveillés sur la voie publique. Quand ils le sont les caméras sont moins visibles, à savoir noires et petites, surtout sur des axes de circulation ou dans des croisements. L’idée n’est plus ici de communiquer, mais de contrôler.
  • Non recensées, des caméras sont installées dans les halls d’immeuble de Mâcon Habitat, ce qui augmente la surveillance des quartiers sensibles. Ce sont, comme les systèmes privés en entreprises et commerces, les plus efficaces, les plus fonctionnelles, avec toutefois davantage d’atteinte aux libertés individuelles pour les habitants des immeubles concernés et leurs proches.

Le nombre de 180 caméras peut paraître à la fois énorme et insuffisant, tout est question de point de vue. Quand on observe la carte, on voit des îlots particulièrement pourvus, avec une impression forte de surveillance. Toutefois, comme les Anglais précurseurs le savent depuis les années 1990, la vidéosurveillance ne fait que déplacer la délinquance. Elle incite à ne pas se faire prendre, elle n’empêche pas la délinquance. Ainsi, quand l’engrenage de la vidéosurveillance est lancé, on ne peut pas l’arrêter, chaque caméra crée de nouveaux angles morts, c’est un processus qui n’en finit pas.

M. Jean-Patrick Courtois l’a d’ailleurs bien compris, qui peut faire campagne sans cesse sur ce sujet, voire exclusivement sur ce sujet, et ce quelle que soit l’élection. Pour les municipales, cela paraît évident. Ça l’ait moins quand il fait campagne sur les caméras dans la communauté d’agglomération, pour en faire mettre au-dessus des points de collecte des déchets. Ça l’ait encore moins quand c’est son sujet de prédilection pour les élections départementales, sans compétences à ce niveau sur la question… Le maire de Mâcon illustre à merveille la raison d’être de la vidéosurveillance, à savoir surtout un outil de communication politique.

Contre quelle délinquance et pour quelle protection ?

Petites caméras aux Saugeraies

La protection des habitants est une responsabilité pénale des maires. Les grandes villes de droite se sont très vite appuyées sur la vidéosurveillance pour assurer cette obligation, en arguant souvent, au-delà de la lutte contre la délinquance, du risque terroriste. Peu à peu ce recours à ces techniques se répandent parmi l’ensemble des mouvances politiques, d’autant que les citoyens y sont en grande majorité favorables. En 2019 ce sont 6 000 communes qui sont concernées, pour 60 000 caméras installées.

Du côté des habitants, c’est admettre une défiance généralisée, globale, qui s’intègre dans un « sentiment d’insécurité », marqueur particulièrement abstrait devenu précieux pour le lobby des sociétés de surveillance et pour les représentants élus. Dans cette société de défiance, de méfiance, on tend à réduire alors le sentiment d’insécurité par de la vidéosurveillance. Celle-ci a pris le nom de vidéoprotection pour coller à ce rôle rassurant. Mais il faut être clair, c’est important, une caméra observe, elle ne protège pas. Celui qui surveille, et qui peut protéger, le cas échéant, c’est le policier ou le gendarme, en l’état de notre fonctionnement institutionnel.

Cet accord de confiance en la vidéosurveillance, il est appuyé par le sentiment d’efficacité. Celui-ci peut être soutenu, malgré eux peut-être, par les articles de presse qui montrent parfois l’intérêt de la vidéosurveillance dans certaines enquêtes. C’est une mise en valeur ponctuelle, visible, qui peut masquer pourtant la complexité d’une résolution par la vidéosurveillance. Elle peut au moins venir en soutien d’une affaire policière, mais qui ne permet la résolution que dans 1 % des cas [9]. Sans surprise, d’ailleurs, avec 0,007 caméras par kilomètre carré à Mâcon par exemple ! Aussi bien maillé qu’il soit, un réseau de caméras ne peut pas grand-chose, si ce n’est peut-être installé en masse comme le long du stade Griezmann.

On peut aussi poser la question de la délinquance que cette technique veut combattre. Mâcon, comparée à d’autres communes de même taille, est une ville calme, malgré une réalité des atteintes aux biens, environ 1 700 par an sous forme de vols, de dégradations, comme des atteintes aux personnes, environ 600 par an, sans incidence particulière de la vidéosurveillance publique à ce sujet. Le constat d’échec, au niveau national, se trouve dans la tendance qui se développe à surtout lutter contre un autre type de délinquance avec les caméras, qui peut être plus efficace et plus rentable, ainsi avec la vidéo-verbalisation des automobiles et autres véhicules comme les scooters, avec une capacité importante de dresser des contraventions dans ce cadre [10].

Du côté des citoyens, faire reposer la confiance sur la vidéosurveillance peut poser question en matière de priorités politiques.

En matière budgétaire, cela réduit certaines alternatives :

  • Ainsi tout simplement d’avoir davantage de présence policière pour observer et échanger avec les habitants, avec quatre ou cinq personnes supplémentaires. Actuellement la police municipale comprend environ 10 agents, soit un pour 3 400 habitants, et sans personne la nuit. Il y a sans doute une marge de manœuvre politique à ce niveau.
  • C’est aussi une autre manière de gérer la défiance, avec une politique associative et culturelle à même de susciter la rencontre et l’échange entre les habitants. En l’état la ville de Mâcon n’organise des événements qu’en centre-ville, comme vitrine qui devrait rassembler, en déléguant le reste au bon vouloir d’associations de quartier en difficulté, alors que la mairie peut être elle-même davantage organisatrice et partie prenante, en tant que garante du bien-être de l’ensemble des habitants.
  • C’est aussi le choix possible d’une autre manière de lutter contre d’éventuels problèmes, notamment via des budgets accrus et des actions pérennes pour le Conseil local (et intercommunal) de sécurité et de prévention de la délinquance, ou encore par le recrutement de médiateurs, à condition de diagnostics préalables.

N’oublions pas, enfin, que la vidéosurveillance comporte des risques d’atteinte aux libertés et droits fondamentaux, quand bien même celles-ci n’ont plus grand valeur politique depuis la fin des années 2000. Il existe des règles, il convient à chacun de s’assurer qu’elles soient respectées, voire de contacter la mairie ou de faire un recours auprès de la Préfecture ou de la CNIL, en cas de problème [11]. L’intérêt du dispositif en matière de communication politique peut difficilement compenser l’inefficacité du réseau, son coût, ainsi que l’atteinte aux libertés qu’il représente.

Conclusion

Pour Maxim Plat, adjoint en charge de la sécurité et de la tranquillité publiques, « une ville comme Mâcon ne peut pas assurer la tranquillité de chacun sans un outil comme celui-ci, c’est essentiel et complémentaire au travail de terrain ». Cette assertion peut être mise en doute. On peut aussi voir dans la vidéosurveillance, une politique de l’évitement, ce qui peut en effet se rapprocher d’une façon d’assurer une certaine tranquillité, en écartant la délinquance et les trafics de certaines zones, voire pour un éloignement de quelques mètres ou centaines de mètres seulement. La vidéosurveillance ne résout pas grand-chose, elle ne fait qu’en donner l’impression.

Le travail de terrain est-il assuré ? Peut-il l’être avec les moyens dont il dispose ? La vidéosurveillance mérite-t-elle autant d’égard et le rejet d’autres actions ? Doit-on s’habituer à être surveillés ? Est-ce normal de supporter d’être suivis dans nos mouvements, même quand on n’a rien à se reprocher ?

La vidéosurveillance peut apparaître comme une facilité pour les élus qui en ont usage et qui connaissent très bien ses limites. C’est une politique qui se base sur des sentiments, sur des impressions, et surtout, de manière plus problématique, sur des cloisonnements individuels et communautaires. C’est un gadget coûteux qui donne parfois le sentiment que les autres options de lutte contre la délinquance, humaines, ne sont pas à la hauteur.

Ajout le 22 décembre 2021

Une nouvelle étude vient prouver l’inefficacité de la vidéosurveillance, selon une enquête commandée par la gendarmerie. Après avoir étudié le dispositif de surveillance à Montpellier, le chercheur Guillaume Gormand s’est intéressé à Grenoble, avec des conclusions similaires, qu’on connaît déjà par ailleurs : un taux d’élucidation très, très faible (autour de 1%), une pratique difficile et peu naturelle, quand le terrain est plus propice à l’élucidation, d’autant plus avec les effectifs adéquats.

Sur cette enquête, un article du Monde.fr (payant) : https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/22/une-etude-commandee-par-les-gendarmes-montre-la-relative-inefficacite-de-la-videosurveillance_6106952_3224.html ou une interviewe de Guillaume Gormand auprès d’une association grenobloise : https://www.ades-grenoble.org/wordpress/2021/12/17/critiquer-la-videosurveillance-cest-sattaquer-a-une-religion/

La thèse de Guillaume Gormand autour de Montpellier, soutenue en 2017, est librement consultable sur : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02439529