A. Londres à Mâcon
2/4. Mâcon Sud – Mâcon Nord

, par La Rédaction

Deuxième partie de l’exercice de style : et si Albert Londres était passé par Mâcon pour en dresser le portrait en 2022 ? Qu’eut pu écrire le reporter passant du sud au nord de la ville, lui qui fut connu pour la formule suivante : « Messieurs, vous apprendrez à vos dépens qu’un reporter ne connaît qu’une seule ligne, celle du chemin de fer ! »

Le sud de Mâcon est d’une tristesse inouïe. Ce sont de grands parkings, avec de grands magasins responsables de faire pleurer les commerçants du centre ville. Mais ce n’est pas le pire. Des kilomètres de rues qui desservent des entreprises dont on ne sait à laquelle décerner la palme de la laideur. Peut-on les en blâmer ? Le cadre ne se prête pas à l’embellissement, loin de là. La ville fait des efforts, mais c’est trop tard. Ils ont fait un petit parc en bord de Saône, encore faut-il le débusquer, c’est loin de ce paysage désolé, c’est dans un endroit où on veut attirer des entreprises du numérique, comme si elles allaient y rester. Cela ne marchera sans doute pas, les édiles se sont crus dans une grande ville alors qu’ils n’étaient qu’élus de Mâcon.

Ici tout pousse à l’humilité, à la modestie. A la retenue même. C’est comme s’il y avait de l’argent dans les caisses mais qu’on se gardait bien de le montrer.

La grande voie traversante est large mais sans magnificence. Son rôle est simple, au sud : séparer l’activité de l’oisiveté, l’entreprise de l’habitation. C’est à celle des deux qui se développe le plus, quoiqu’à cet égard la zone industrielle n’a plus beaucoup de place, tandis qu’on veut, de l’autre côté, continuer de supprimer les champs pour y faire pousser les pavillons. Attention ! Ce n’est pas Mâcon qu’on développe, c’est Lyon ! Ici les gens pourront, pour moins cher, prendre leur voiture et rejoindre la bretelle d’autoroute, parfois prendre le train, à deux pas, pour passer la journée là où se trouve le travail. Mâcon n’est pas une ville-dortoir mais elle aspire à l’être.

Quand on se promène dans ces ruelles, entre barres d’immeuble et pavillons, la vie est calme en journée, sauf « chez les Turcs ». C’est ainsi qu’on dit, sommairement, pour le petit quartier de La Chanaye. C’est là aussi qu’est le chômage. Des hommes, partout dehors, on peinera à voir des femmes, peut-être au travail, peut-être aux courses, peut-être à la tenue du ménage. Quelques bars, peut-être plus qu’en ville, mais qui savent se faire discrets, et sans flots d’alcool. L’accueil est bon, mais la méfiance est grande. Il y a du mouvement, on sent aussi qu’on doit bouger. Les jeunes causent, entre eux, ils s’équilibrent entre deux choix cornéliens, le travail manuel ou le petit trafic, mais c’est un trafic de petite ville, et les livraisons über, dans les deux cas on souffre d’une clientèle réduite, surtout pour être payés au lance-pierres.

Deux ou trois fois l’an une voiture brûle sur le parking, c’est la nuit ça fait plutôt sensation. On ne sait pas trop si c’est peu fréquent ou si c’est beaucoup, ni c’est une provocation, un chantage, ou une arnaque à l’assurance.

De l’autre côté, au nord, c’est plus calme, c’est plus beau et plus propre aussi. Même si le gymnase a brûlé, et les caméras inutiles n’ont pas su dire pourquoi, les rénovations des dix dernières années forcent un respect qu’on peine à trouver dans les barres du sud. Le petit trafic, ici, ne s’observe pas sur la vétusté des murs, on a caché la misère, le chômage est aussi présent ici, c’est une vraie concurrence entre les deux quartiers, et géographiquement on vient ici davantage du Maroc, ce n’est pas tout à fait la même mentalité, on voyage dans Mâcon, c’est agréable.

Bernard Sollet

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