Sous la centrale, une sale histoire

, par La Rédaction

Dans le cadre du projet de centrale photovoltaïque à la Grisière, sur la commune de Mâcon, une enquête publique est ouverte du 14 juin au 17 juillet 2023. A cette occasion, l’entreprise qui a obtenu le marché, a réalisé, via un bureau d’études, une « étude d’impact environnemental ».

Celle-ci, avec plusieurs centaines de pages, est très riche en informations [1], avec des réponses peu réjouissantes aux questions soulevées dans notre premier numéro de l’Indépendant Mâconnais, en mars 2021 [2].

Au-delà de données techniques sur une centrale qui, rappelons-le, ne viendra pas se substituer à d’autres types de production, mais bien permettre davantage de consommations, nous pouvons retenir trois éléments particulièrement intéressants, sur le passé de la Grisière, sur le présent de l’Abîme, et sur l’avenir du site concerné.

Sous la centrale, une décharge

Le document produit pour l’entreprise SMEG, Société monégasque de l’électricité et du gaz, retrace l’histoire de l’ancienne décharge de la Grisière. Ouverte en août 1967, cette décharge à ciel ouvert faisait en tout un peu plus de 35 hectares ! Elle a été fermée en 1987, par arrêté préfectoral.

En 1972, 60 tonnes de déchets, venant de 23 communes représentant 55 000 habitants, étaient traitées chaque jour. D’après une étude réalisée en 1990, ce volume passe à 74 tonnes par jour en 1983 avec environ 20 000 tonnes d’ordures ménagères et 7 000 tonnes de déchets industriels. Ce furent en tout trois casiers qui se remplirent pendant vingt ans. Le premier gît aujourd’hui sous l’espace sportif et de loisirs Antoine Griezmann. Quant aux deux autres ils sont justement là où la centrale doit être implantée.

« Les sols en place, lit-on, ne sont donc pas naturels : à la fin de leur exploitation, les casiers de la décharge ont été recouverts de terres, argiles et cailloux divers […]. Sous les déchets, l’étanchéité de fond [pour éviter le contact avec les calcaires], était assurée par la présence naturelle d’argiles de décarbonation jaune. »

Que la décharge soit ainsi une source de pollution, avec des jus de déchets qui se retrouvaient dans l’Abîme, ce n’était pas un mystère. En 1984 le préfet mettait la ville en demeure de dépolluer la rivière. En 1987 des signes de pollution intense du cours d’eau étaient avérés, selon des rapports et observations de l’époque.

Une pollution bien actuelle

Les déchets sont situés à partir de un à trois mètres sous le sol actuel, suivant l’endroit, mais sans que la terre déposée à la fermeture de chaque casier, fut alors suffisamment compactée pour permettre une réelle étanchéité. La Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) fait le constat, à travers des études en 2021 ou 2022, d’une couche irrégulière de 1 à 1,4 mètre au-dessus des déchets, voire parfois moins ! Ces études révèlent en outre des zones avec d’importants risques d’explosivité, dus à une teneur forte en méthane.

Malgré la couche supérieure, des sondages réalisés dès 1990 montrent des taux d’infiltration d’eau importants dans les casiers, à des niveaux peu profonds. Les prélèvements effectués montrent que les eaux souterraines à proximité sont particulièrement chargées en substances carbonées, en chlorures, en ammonium, en phénols, en métaux lourds (chrome, plomb et fer) et hydrocarbures. Les limites de détection des nitrites et cadmium y sont supérieures aux seuils réglementaires définis en 2007.

Une couverture argileuse devait être assurée dans les années 1990 pour corriger le problème, mais ça n’a été que partiellement réalisé, sur le casier le plus au sud. En outre des puits de lixiviats, pour recueillir les jus de déchets, ont été aménagés entre 1994 et 2000, mais sans aucune information disponible à ce jour sur leur fonctionnement ou leur état ! La cessation d’activité de la décharge n’a pas été effectuée dans les règles, et que les travaux nécessaires à la suite d’une telle fermeture n’ont été réalisés que très partiellement.

Les eaux de surface sont particulièrement chargées en substances carbonées, en chlorures, en composés azotés (nitrates, nitrites, ammonium), en phénols, en métaux lourds (mercure, cadmium, fer) et en hydrocarbures. C’est le cas au niveau de la fontaine de l’Abîme, au croisement de la rue Jacques Brel et de la route de l’Abîme, source emblématique de la rivière éponyme qui se dirige vers la Saône. Il faut notamment noter que l’ammonium et le plomb sont décelés au-dessus des seuils réglementaires.

En somme, peut-on lire : « La possibilité d’une dégradation des eaux du Ruisseau de l’Abyme et des eaux souterraines par la décharge est jugée élevée au vu de la perméabilité des couches géologiques et des connaissances historiques. » Le dernier constat de 2021 mentionne que la partie Est de la décharge est en contact avec des failles et des calcaires « conférant au site une forte sensibilité vis-à-vis de toute infiltration d’eau polluée », avec un risque de transfert de lixiviats issus des déchets enfouis, ou jus de déchets, vers les eaux du ruisseau de l’Abîme, par les failles du réseau calcaire…

La DREAL, dans le cadre du projet actuel, s’inquiète du tassement de la centrale sur certaines zones, elle recommande d’éviter l’implantation sur les zones concernées par un dépassement de la limite d’explosivité. Elle recommande aussi à la ville de Mâcon, et ce n’est pas rien, d’opérer une couverture peu perméable de 30 centimètres avant l’installation de la centrale, et de mieux gérer la gestion des eaux pluviales. L’entreprise considère que ce deuxième point, notamment la couverture, n’est pas à l’ordre du jour et qu’il « modifierait substantiellement l’état initial du site sur le volet nature et biodiversité », réponse assez saugrenue tant elle conduirait à pérenniser les infiltrations et risques de pollution liés à l’ancienne décharge.

Une biodiversité menacée

Devant cet inquiétant état des lieux, le projet de centrale photovoltaïque peut bien paraître comme inoffensif. A quelques mètres de là, on prévoit l’artificialisation de sols pour une zone artisanale et commerciale [3]. De l’autre côté, en pleine chaleur, les responsables du circuit de motocross arrosent la piste en journée pour donner de la boue aux spectateurs, quand la population locale est priée de ne pas arroser ses plantes ni mettre à niveau les piscines. En quoi la centrale photovoltaïque serait un projet négatif dans ce voisinage, à cheval entre Mâcon, Hurigny et Sancé ?

Chaque projet participe d’une menace pour l’environnement, et la centrale n’y déroge pas. Le projet assume tout à fait sa menace sur la biodiversité, lors de l’installation de la centrale, avec une incidence plus ou moins forte sur le milieu naturel, par destruction d’individus, par suppression de la flore existante, aussi faible soit-elle. Les mesures prises, mises en évidence par le cabinet d’études, sont réelles, mais elles ne peuvent nier l’installation d’une centrale photovoltaïque sur un terrain ensauvagé depuis plus de 30 ans, sur une décharge qui, près de 40 ans après sa fermeture, reste une menace sérieuse contre l’environnement.

Enfin la question de l’intérêt même de sa construction reste entière. Quand le contexte incite à substituer des énergies renouvelables aux énergies fossiles, et plus généralement à diminuer les dépenses et la consommation, on choisit ici d’augmenter les capacités de consommation.