La ZAC de la Grisière, déboisage chez les Gueulatis

, par La Rédaction

Projet initié en 2018, la création d’une zone d’aménagement concertée (ZAC) à la Grisière, sur la commune d’Hurigny, a été validée par la communauté de communes Mâconnais Beaujolais Agglomération (MBA) en février 2023. Personne n’a vraiment trouvé à redire sur ce projet de manière officielle, si ce n’est avec quatre voix contre lors de la délibération du Conseil communautaire, sur 75 voix.

Des doutes ont été exprimés par des agriculteurs, dans la presse, sur la diminution des surfaces agricoles, mais cela s’arrête là [1]. Pourtant le dossier de réalisation présenté par la MBA sur son site web n’est pas sans poser plusieurs questions [2].

Ce projet reposant sur une surface de 4 à 5,5 hectares, dont un peu plus de la moitié nécessite la suppression de terres arborées ou agricoles [3], il peut être bon de relever les interrogations portées par ce document, quand bien même le projet est déjà validé.

Une proximité aux axes routiers toute relative ?

Le dossier met en avant la proximité de la ligne à grande vitesse Paris-Lyon. C’est 8 kilomètres en 13 minutes pour le commun des mortels. C’est une vingtaine de minutes par des voies routières correctes. Au regard des autres zones d’activités possibles, on ne voit pas forcément le caractère attractif de la Grisière à cet égard, quasiment à l’opposé de la gare TGV en regard de la ville même. La proximité de la Route Centre Europe Atlantique (RCEA) est aussi évoquée, et c’est à peu de choses près la même distance pour y accéder. Seule la proximité de Mâcon, surtout avec Flacé, et de Charnay-lès-Mâcon, ensuite, peut être un argument.

La « proximité des axes autoroutiers » n’est pas évidente, par rapport à d’autres zones plus proches dans le Mâconnais. Pour l’autoroute A6, le site est en fait quasiment à mi-distance des deux sorties, ce qui n’est pas un point idéal de proximité, à 10-15 minutes de la sortie Sud, à 10-15 minutes de la sortie Nord, avec des voies d’accès qui ne sont pas particulièrement adaptées aux transports de marchandises, que ce soit par les méandres de Charnay et Mâcon pour le Sud ou par les méandres de Sancé et Sennecé pour le Nord…

La question se pose également de la possible affluence créée sur certains axes par ce projet, sur une voie qui a perdu sa valeur il y a bien longtemps au profit de la route départementale RD82 passant par Hurigny. La route de la Grisière souffre dans son ensemble de limites sans amélioration perceptible, voire possible. Tandis que la voie depuis Mâcon subit déjà les assauts réguliers des camions qui rejoignent la déchetterie, une zone artisanale et commerciale ne fera qu’engorger davantage ce passage.

Concernant l’activité commerciale, toutefois, on peut douter de la volonté d’implantation de magasins d’alimentation à l’entrée d’une déchetterie, ou de commerces à côté d’un stade qui jouit d’une présence publique faible. Les auteurs du projet font une comparaison avec la ZAC récente de Péronne, également sur le territoire de la MBA, notamment pour ce qui concerne la surface globale, mais aussi pour la typologie d’activités. Mais on peut douter à ce jour que ce soit les mêmes activités qui s’implantent là, à savoir une grande surface commerciale ou des domaines viticoles, une coopérative agricole, ou encore un centre de contrôle technique.

Des calculs de surface discutables ?

Quand, pas une fois, pas deux fois, mais trois fois, les auteurs du dossier précisent que l’opération n’est pas soumise à évaluation environnementale, le doute s’installe. Pourquoi insister autant ?

On note qu’il faut 10 hectares concernés pour qu’une telle étude soit obligatoire. Avec 4,19 hectares, selon les chiffres du dossier, on en est loin. Mais on apprend aussi qu’un examen au cas par cas est prévu pour les projets entre 5 et 10 hectares, ou quand la surface de plancher, à savoir les constructions effectives avec des murs de plus d’1,80 mètre de hauteur, est supérieur à 10 000 m². Et là nos vérifications des surfaces permettent de soulever des doutes sur les calculs opérés par les différents collectivités en charge du dossier. Car l’impact environnemental d’un tel projet est bien réel. S’il ne s’agit pas d’un écocide, il s’agit bien d’une artificialisation de terres agricoles et boisées, terres qui ont un intérêt écologique dans cet environnement urbain mâconnais.

Le calculateur de surface dans Google Maps est un outil intéressant et particulièrement précis pour calculer des surfaces. Comparons la superficie communiquée par la MBA avec celle obtenue avec cet outil. Dans certains cas, ces calculs confortent l’absence d’obligation d’évaluation environnementale, dans d’autres cas les calculs supposent cette obligation. Et nous pouvons d’ores et déjà supposer, outre le fait qu’on ne tombe jamais sur les mêmes chiffres que dans le dossier, qu’il peut exister une opportunité à ce que certains chiffres passent sous le seuil d’une obligation.

Selon la MBA, le périmètre de l’opération fait 4,19 hectares, soit 41900 m². Dans un premier document visuel en page 8 du dossier (ci-contre), on a bien deux périmètres d’étude, nord et sud, séparés par la voie qui mène à la déchetterie. Selon nos calculs, qui comprennent une entreprise de maçonnerie existante, les deux périmètres font ensemble 54800 m², soit 5,48 hectares. Au-dessus du seuil, avec alors un examen possible au cas par cas donc.

Dans un autre document visuel en page 10 (ci-contre), on observe la « limite zone d’étude » : au nord elle soustrait l’entreprise de maçonnerie, et au sud il n’y a pas de limite claire. Selon nos calculs, on arrive alors, toujours en soustrayant l’entreprise de maçonnerie, à 45 900 m², soit 4,59 ha, et donc sous le seuil, sans examen nécessaire. Toutefois l’entreprise fait bien partie du projet global. Pourquoi la soustraire ? On note qu’on est au-dessus des 4,19 ha, de 4000 m². Si on les soustrait du total avec l’entreprise de maçonnerie, estimant que pour une quelconque raison nos calculs ne sont pas corrects, on tombe à 50 800 m² (54800 - 4000), soit 5,08 ha avec possibilité d’un examen.

Dans un autre document visuel, en page 20 (ci-dessous), on observe que la zone s’arrête, au Sud, à 50 mètres de l’habitation, ce qui fait passer la zone Sud de 12 600 m² à 10 000 m², selon nos calculs, soit 43 300 m² sans l’entreprise de maçonnerie (1 400 m2 au-dessus des 41 900 m² du document), et 52 200 m² avec cette entreprise, ou 50 800 m² si l’on triche en faveur du dossier (52 200 - 1 400), soit 5,08 ha comme dans le calcul précédent.

L’implantation récente du bâtiment des Micco Frères, et l’intégration de cette parcelle dans le plan initial encore en vigueur pour le projet global de ZAC, conduit à comptabiliser cette surface dans l’ensemble du projet. Mais cette option, quels que soient les autres hypothèses, conduit à dépasser un seuil de 5 hectares, supposant un examen relatif au site, à l’impact environnemental du projet. Légalement, soustraire cette surface du calcul est peut-être possible. Ethiquement c’est une autre question, moins facile à trancher.

Une comparaison opportuniste avec la ZAC de Péronne

Un deuxième calcul entre en considération, c’est la surface de plancher, à savoir donc, les constructions effectives avec des murs de plus d’1,80 mètre de hauteur. Seuls les projets en-dessous de 10 000 m² ne sont pas concernés par un possible examen.

Le dossier annonce 28 819 m² de surfaces cessibles au nord (en 10 lots) et 9 545 m² au sud (en 3 lots), soit 38 364 m². La surface cessible exprime la surface « habitable » pour un logement, et la surface utile pour les bureaux et commerces. Dans cette surface cessible sont définies des surfaces de plancher, seules à rentrer en compte pour la nécessité ou non d’un examen environnemental. Le problème, c’est que, si la surface cessible est clairement définie, la surface de plancher relève d’hypothèses libres, sans cadre juridique clair pour son calcul. Sur chaque lot, la construction peut tout à fait atteindre 80 % de la surface totale, ou se limiter à 50 %, 20 %, voire moins.

Aucune limite n’est imposée, ce n’est pas une obligation légale, la surface de plancher proposée dans le projet étant simplement indicative, pour autant peut-elle empêcher un examen sur l’impact environnemental.

L’étalon pris pour la ZAC de la Grisière est celle de Péronne, également située sur le territoire de la MBA. Ce choix pose question. Le taux de 23,23 % pour mesurer la surface de plancher permet d’arriver à 8 912 m² de surface de plancher sur 38 364 m² de surface cessible. Il suffirait de passer le seuil à 26,1 % pour passer les 10 000 m² qui supposent une évaluation environnementale. Et les 1 088 m² qui manquent,ne sont pas loin de l’extension réalisée en 2022, de 700 m² pour l’Intermarché contruit en 2017... A la Grisière ce n’est pas loin des 800 m² de l’entreprise de maçonnerie déjà implantée sur la ZAC, pourtant non comptabilisée dans le projet alors qu’elle est comprise dans le périmètre global de l’opération.

ZAC de Péronne (Google Maps)

Faut-il prendre le pavillonnaire quartier concerné de Péronne comme modèle ? La zone pavillonnaire, tout comme la ZAC, ont pris place sur une zone exclusivement agricole, sans bois. La ZAC répond à une extension pavillonnaire d’ampleur, quand bien même ce choix est discutable, mais aussi à une offre artisanale et commerciale particulièrement réduite dans les dix kilomètres alentours hormis le petit bourg de Lugny. On est loin de la situation de la Grisière, dans laquelle on pourrait supposer le bien-fondé de maintenir des surfaces agricoles et naturelles de cette importance.

De l’art de passer outre les garde-fous

Pour les habitants et citoyens qui n’ont pas le temps ou les compétences pour juger correctement d’un projet dans un cadre démocratique existant, il y a des garde-fous, avec des acteurs indépendants qui viennent donner un avis éclairé sur les projets d’artificialisation. C’est là ce type de garde-fous qui est écarté par des modes de calcul discutables, à la Grisière.

Personne ne tempête à Hurigny, semblerait-il. Les Gueulatis ont depuis longtemps perdu les bois dans lesquels, selon la légende, ils criaient de clairière en clairière, au pays des fagots. Il fallait qu’ils s’entendent, parmi les arbres dont il se servait pour fabriquer le charbon. Les arbres repoussaient, ce ne sera pas le cas cette fois.

ZAC de la Grisière à Hurigny - Dossier de réalisation (MBA)