A. Londres à Mâcon
4/4. Entre deux eaux

, par La Rédaction

Dernière partie de l’exercice de style : et si Albert Londres était passé par Mâcon pour en dresser le portrait en 2022 ? « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de choeur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de rose. » (Terre d’ébène)

Car la ville souffre d’être ni trop grande ni trop petite, c’est une ville de passage, dans laquelle on passe aussi lentement que l’affluent. Il n’y a pas de vieilles familles à Mâcon, ou si peu, une bourgeoisie désargentée, me susurre-t-on, qui vit surtout ailleurs, là où le foncier a une vraie valeur.

On ne sait pas conserver les gens, ici. Il y a deux personnalités, un ancien député poète, qui a surtout trouvé l’inspiration ailleurs, et une star du football, parti avant ses vingt ans, et c’est à peu près tout. Qui sait que c’est ici qu’a été fondé le célèbre jus d’orange Joker ? À peu près personne. L’entreprise est aussi laide que ses voisines, d’ailleurs, et on s’apprête à détruire la belle maison de maître de son créateur… Certes, on ne va pas en faire des caisses pour des jus de fruits, surtout quand il n’est pas fermenté. Ici c’est le vin qui est roi, et on verra toujours le maire tenir un verre à pied plutôt qu’un verre girafe, avec un sens inné du marketing.

Ici une rue pleine de commerces vivants, là dans le déclin à côté de boutiques précaires.

Entre deux eaux, les riches d’un côté les pauvres de l’autre, on se mélange mal à Mâcon. Les enfants des quartiers s’amusent en centre-ville, alors on fuit dans les banlieues chics, quitte à quitter l’agglomération. On ne se mélange pas, les institutrices que je rencontre m’en font un tableau assez dramatique pour les unes, moins pour les autres. Là aucun enfant ne parle français en franchissant pour la première fois le seuil de l’école, la maîtresse est la seule personne non voilée lors de la réunion de présentation aux parents. On oublie vite le programme et on craint l’inspecteur même s’il paraît que celui-ci est conciliant. Ici le même programme qu’ailleurs, il est pourtant accessoire, on le dépasse vite, même si on pourrait faire plus encore si on ajoute ce nombre d’élèves partis dans l’école catholique du secteur. Elle ne sert plus à former le dévot, elle est à la fois un entre soi et une protection contre le monde extérieur, derrière des murs anciens que les écoles publiques n’ont pas eu l’opportunité de s’approprier.

Le maire lui-même joue le jeu de l’entre deux. Un zig qui ne l’aime pas me dit qu’il apprécie « pas vu pas pris ». Il a triché pour des élections. « Pas vu pas pris ? Il s’est fait prendre. » Il présente des trucs louches dans ses budgets, des contrats sans respecter la mise en concurrence. « Pas vu pas pris ? Il s’est fait prendre. » Il a voulu faire construire à tout va, sans respecter les règles de l’État sur l’environnement. « Pas vu pas pris ? me redit le zig. Il s’est fait prendre. » Il faudra creuser pour voir sur quoi personne ne l’a vu, je laisse ça aux journalistes locaux, si le cœur leur en dit. Ce n’est pas par eux qu’il s’est fait prendre.

« Les gens s’en fichent, me dit le zig. Il rajoute : on se croirait chez Balkani, les cadeaux municipaux en moins. Ici c’est vu mais toujours pas pris, finalement. »

Entre deux eaux, on se plaint qu’il n’y a rien à faire quand on a moins de soixante ans, mais on a peur de changer de maire, c’est ainsi.

Bernard Sollet

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