A. Londres à Mâcon
3/4. La Saône

, par La Rédaction

Troisième partie de l’exercice de style : et si Albert Londres était passé par Mâcon pour en dresser le portrait en 2022 ? Comment aurait-il apprécié la ville, lui qui en tant que journaliste expliquait que « notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie » ?

La Saône est là, lente, lourde, elle est dans toutes les têtes. Des fenêtres de l’hôtel dans lequel je suis descendu, elle donne au matin toute sa puissance, une brume épaisse dans laquelle il faut user du couteau pour traverser le vieux pont Saint-Laurent, inscrit au patrimoine de l’Unesco pour avoir bravé cette soupe à travers les siècles. C’est là qu’on payait l’octroi, pour passer les marchandises d’une région à l’autre, car si proche, de l’autre côté ce sont déjà les Alpes, alors qu’ici c’est la Bourgogne. Quand la brume n’est pas là on peut voir le Mont Blanc, je n’ai pu le vérifier par moi-même mais toutes les langues locales s’enorgueillissent de ce panorama.

La Saône est surtout visible au nord, un nord moins froid que le sud, c’est là que sont les rares centres d’activité de la ville : le cinéma, la piscine, le théâtre, les stades, avec une difficulté à dépasser le jus des années 1970 même si on voit qu’on y travaille. Le Spot est la salle de spectacles, ici des artistes populaires ou sur le retour, et pour le reste Paris et Lyon ne sont pas si loin, 1h à 2h aller, sans le retour, le prix d’une place sera simplement doublé ou triplé par le coût du transport, mais quand on aime.

Il faut se lever tôt pour la baignade à la piscine, dès neuf heures les enfants du quartier y entrent en nombre. Ils s’éclatent, les autres moins. Les petites jeunes à l’accueil sont épaulées par un grand frère pour remettre à leur place des garnements qui sont chez eux, qui viennent là comme ils vont chez eux dans leur salle de jeu. Surtout qu’il parle arabe comme eux, qu’ils croient qu’il est de leur religion, parfois ça aide. Piscine trop petite ? Peut-être. Gaudin, à Marseille, dont le règne fut aussi long que celui de l’actuel maire de Mâcon, a dit qu’ils n’avaient qu’à aller à la mer, quand il a progressivement arrêté de financer les piscines. Ici on pourrait dire qu’ils n’ont qu’à aller se baigner dans la Saône. J’ai fait deux longueurs et c’est le bouchon, on se tape entre adultes pendant que dans les autres bassins c’est une autre cohue qu’on entend d’ici avec des tonalités différentes selon qu’on est dans ou hors de l’eau.

« Vous êtes mauvaise langue, dit une dame à qui je fais part de mes observations.

- Vous n’êtes pas venu le bon jour, et l’été c’est mieux, il y a plus de bassins, me dit sa voisine. »

Je m’en remets à elle, je ne viendrai pas vérifier.

La Saône n’est pas propre à la baignade, aucun équipement ne la permet, et ça ne vient à l’idée de personne. La Saône est déjà suffisamment dans les corps, l’humidité vous traverse, rhumatismes, arthrites, les anciens, pourtant secs, me le disent, c’est le contrat ici. L’autre contrat, c’est qu’il faut oublier la médecine, aussi curieux que cela puisse paraître Mâcon est un désert médical, comme sa ruralité proche. La ville a les moyens de faire venir du monde, au risque du low cost, une bande de jeunes dentistes installés dans la ville proche de Charnay, parfois à vos risques et périls, à côté d’un SOS médecins qui cherchent le profit sans faire de chichi, déjà les listes d’attente sont longues pour ces dispositifs-pansements.

Bernard Sollet

Lire aussi : 1/4. Les entrées dans Mâcon

Lire aussi : 2/4. Mâcon Nord - Mâcon Sud

Lire aussi : 4/4. Entre deux eaux