Flacé, une annexe mâconnaise à bétonner ?

, par La Rédaction

Si la ville de Mâcon, aux 19e et 20e siècles, s’est évertuée à s’approprier les terrains qui lui étaient limitrophes, c’était à son profit, pour son propre essor. Que ce soit Saint-Clément d’abord, pour accueillir la gare de ville et construire ensuite les quartiers des Blanchettes et de La Chanaye, puis Flacé, pour construire Marbé, les Saugeraies, les Gautriats, ces territoires ont été mis au service de Mâcon, sans discontinuer. On peut se demander si la ville a pensé à des contreparties, notamment concernant le cadre de vie. L’affaire actuelle de la vente prévue du stade de Flacé peut faire penser le contraire…

Le numéro 4 au format PDF :
Comparaison entre 1960 et 2020, par photos aériennes (IGN)

Une histoire d’artificialisation

Si on a aujourd’hui tendance à penser que le quartier de Flacé se réduit au « bourg » de Flacé, c’est-à-dire à la zone de l’église et de la mairie annexe, c’est oublier que la « commune » de Flacé s’étendait d’abord de la Saône à l’autoroute A6, d’Est en Ouest, et du Nord au Sud entre Sancé et le centre hospitalier, le lycée Lamartine, le parc de l’Abîme, tous sur l’ancien territoire de Flacé. Le Grand Four, les Saugeraies, les Gautriats, la zone du centre commercial d’E. Leclerc, ou encore les Perrières, Marbé, le Parc Nord comprenant le parcours PAPA, le port de plaisance, tous ces espaces sont situés sur l’ancienne commune de Flacé.

A partir de la deuxième moitié du 19e siècle, Flacé devient un enjeu majeur pour l’expansion de Mâcon, avec plusieurs tentatives d’annexion, parfois des réussites sur certains territoires, ainsi avec la fameuse Caserne Duhesme, aujourd’hui siège du Conseil départemental de Saône-et-Loire. Mais tandis que Mâcon parvient à prendre Saint-Clément dès 1856, il faut attendre 1965, malgré un acharnement continuel des maires successifs de la ville-préfecture, pour que Flacé soit intégrée. La démarche est courante, d’autres communes périphériques de grandes villes ont vécu le même sort dans cette même décennie, notamment dans un contexte de constructions galopantes d’immeubles en HLM, d’expansions urbaines.

Autour du bourg, on voit le développement de Beau Séjour (1960-1965), l’explosion de Bel Horizon et Malcus (1965-1971), avec également dans cette période l’installation du stade et du rond-point de Neustadt, auquel succède le boulevard Victor Schoelcher (1971-1976). On investit ensuite les pentes de la Grisière, on installe les Sorbiers (1976-1985), avec alors déjà des espaces libres et verts qui sont quasiment inexistants [1].

Côté Saône on commence par étendre Marbé vers le Nord (1960-1965), avec ensuite l’installation en dix ans des Gautriats, des Saugeraies, de la Girouette (1965-1975). Ce sont aussi les débuts de l’espace sportif et du port (avec un réel développement seulement dans les années 2010).

Il faut attendre les années 1995 à 2005 pour voir oser se continuer l’expansion, avec la zone commerciale et artisanale autour du centre E. Leclerc, à la frontière avec Sancé, en parallèle du développement du complexe Auchan en contrebas. Il ne restera plus qu’à gratter les quelques surfaces escarpées de la Déserte, vers là aussi en 2021 l’inexistence d’espaces verts.

Accès à la source de l’Abîme, aménagé en novembre 2021.

Un quartier d’îlots urbains, sans espaces communs

Devant cette politique mâconnaise d’expansion urbaine, on peut poser la question de ce qu’il reste de son caractère à Flacé. Plusieurs anciens d’ailleurs ne cachent pas les regrets du rattachement à Mâcon. Car s’il existe une mairie annexe au bourg, Flacé n’est pour autant pas une commune associée, mais bien un grand quartier englouti par la ville.

La source de la rivière de l’Abîme jouit en novembre 2021 d’une amélioration de son accès, avec l’interdiction de stationner trop près, avec une mise en valeur de la dalle pour y descendre. Mais cela cache mal des années, voire des décennies d’abandon.

Source grouillante, avec conduite pour les eaux de pluie.

L’enlaidissement induit par la conduite de récupération d’eau de pluie depuis l’autoroute proche, au début des années 1980, n’a pas été compensé par un embellissement du lavoir ou de la réception des eaux de la source. Tout autour des constructions ont été autorisées, semble-t-il sans jamais s’être soucié de cette source et de son histoire.

L’Abîme ensuite ressemble à un ruisseau privatisé, dans lequel on puise depuis les propriétés, sans contraintes. On peut côtoyer ce ruisseau dans une petite vallée, entre la rue du Vieux Bourg et la rue de la Fontaine, le ruisseau glissant depuis l’ancienne cascade jusqu’à la villa blanche des Glycines. Cet espace a vu des autorisations de construction se succéder, depuis 2011, si bien que le ruisseau est aujourd’hui bordé de maisons.

Alors que le petit espace public encore existant pourrait former un espace vert agréable, on observe que c’est l’absence d’entretien qui a été choisie, au risque d’un abandon et d’une continuation de sa privatisation.

Il ne reste ainsi que 250 mètres de jolie promenade le long du ruisseau, là aussi engoncée dans les propriétés attenantes, depuis la rue Jules Révillon jusqu’à la rue Édith Piaf, 250 petits mètres après lesquels on voit la rivière s’enfoncer sous terre, enterrée sous la rue du Vallon pour refaire une apparition de 200 mètres, dans le parc de l’Abîme, avant d’être enterrée de nouveau jusqu’à la Saône.

L’Abîme et l’un de ses rares accès publics.

L’espace de la Grisière, qui n’est pas sans alimenter l’Abîme, était un espace de promenade, dans le passé, que l’autoroute a quelque peu bousculé. Un arboretum a été installé sur les hauts de Chailloux. Mais plus au nord, l’artificialisation continue, au-dessus de l’Abîme, du côté de la déchetterie, sur les coteaux de Bel Horizon. Il existe encore des espaces verts agréables, au-dessus de l’ancienne carrière, même si l’état d’abandon des espaces proches de l’antenne relais TDF pose question sur l’intérêt de la ville de Mâcon pour ces zones.

L’ancienne carrière ouverte, qui pourrait être un espace de jeu, est constellée de morceaux de verre, de tessons, de restes de feux de barbecue. Il est alors difficile d’y faire jouer les enfants, d’y amener le vélo, quand il n’existe par ailleurs pas beaucoup d’espaces dans le quartier pour cela. Loin de projets fous dans le passé qui dessinaient un espace sportif dans ce lieu, avec terrain de football, piste d’athlétisme, terrains de tennis, etc., il peut y avoir un juste milieu pour que le quartier, dense en population, dispose d’espaces agréables et non à ce point laissés à l’abandon depuis le début des années 1980.

La carrière de la Grisière et ses bouts de verre (antenne TDF à l’arrière-plan).

Car l’urbanisme mâconnais oublie le loisir extérieur, ou bien l’éloigne. On constate qu’en soixante ans seul le quartier de Marbé a été réhabilité. Et de mauvais esprits pourraient exprimer que la seule raison de cette réhabilitation, tient au fait que le quartier est visible quand on arrive du Nord dans Mâcon, forme de vitrine donc, tandis que les quartiers des Gautriats et des Saugeraies peuvent rester dans leur jus, à l’abri des regards touristiques. Marbé abrite aussi « les » structures culturelles de Mâcon, le cinéma et le théâtre, ainsi que des espaces sportifs d’ampleur à proximité.

Plus haut dans Flacé, on est à l’abri de la culture, avec essentiellement de l’habitat. Il y a bien le Musée du Souvenir français dans le château du Grand Four. Mais au-delà de l’engagement et de la passion de M. Jean-Claude Bernardet, président du Souvenir français, tout visiteur ne peut que déplorer l’état du musée et du château, en 2021. La question se pose de l’engagement des collectivités territoriales à ce sujet, à moins qu’il ne soit encore que question d’un abandon… Le même abandon que pour l’ensemble des panneaux d’information touristique qu’on rencontre dans Flacé, défraîchis, souvent vides...

Exemple parmi d’autres d’un projet en cours, d’artificialisation, ici entre l’Abîme et la rue de la Grisière, pour un lotissement de 4 maisons.

Flacé à l’épreuve de Jeanne d’Arc

Il est difficile de ne pas voir une conclusion à cette histoire, fortement symbolique, dans le projet de vente d’une partie du stade de Flacé à l’Association des Institutions d’Enseignement Catholique du Diocèse d’Autun (ASIECDA [2]), en vue de procéder au déménagement de l’école Jeanne d’Arc actuellement située rue de la Paix à Mâcon. En effet c’est supprimer le stade Jules Révillon, du nom du dernier maire de Flacé, qui a participé aux procédures de rattachement vers Mâcon.

Rue de la Paix rien ne va plus, les bâtiments de l’école Jeanne d’Arc sont étroits, les normes de sécurité difficiles à tenir, d’où cette volonté de construire une nouvelle structure. L’ensemble des stades et le terrain adjacent le long de la rue Jules Révillon font environ 15 500 mètres au carré. La surface vendue pour l’école concerne 3 500 mètres au carré, soit près de 20 %. C’est l’équivalent des deux petits terrains actuels de football. Quid des 12 000 mètres au carré restant. A ce sujet il y a rumeurs et projets : des villas privées, une maison d’assistantes maternelles (MAM), une aire de jeux publique, ou encore un grand parc accessible à tous, un bassin de rétention des eaux de pluie...

Stade Jules Révillon vu du ciel (IGN)
Test ouvert au public, des Marshals, le 21 novembre 2021, sur le stade principal

Après une première proposition autour de 75 euros le mètre carré, le service des domaines a donné un avis pour un prix porté entre 100 et 150 euros, plus proche du marché donc, ce qui peut déjà être matière à rassurer. Le terrain n’est pas bradé, même si ce prix reste relativement raisonnable pour un terrain dans la ville même de Mâcon, quartier de Flacé.

Si l’on observe les étapes de l’Ehpad proche, qui s’est étendu sur des terrains adjacents, on peut craindre également des extensions pour l’école. Mais Jean-Philippe Belleville, président de l’OGEC [3] du centre scolaire Notre Dame Ozanam, veut rassurer, l’école prévue n’a pas vocation à s’étendre en superficie au sol, une fois construite. Si extension il y avait, ce serait de manière verticale, avec un projet qui prévoit deux niveaux, et la capacité ensuite de créer un troisième niveau. Le fait d’une école élémentaire, avec deux cents élèves, fait penser qu’il n’y a pas volonté ni vocation à une augmentation des effectifs.

Mais Jean-Philippe Belleville est juge et parti, conseiller municipal de la majorité, par ailleurs en charge du « secteur patrimonial remarquable ». Cette concomitance n’est pas sans rappeler celle qui, rue de la Liberté à Flacé, concerne la destruction de l’hôtel Cyrano, maison bourgeoise de l’ancien président directeur général de Joker, pour le remplacer par un immeuble [4]. Ce projet concerne Gérard Colon, conseiller municipal réélu de la majorité...

Mais revenons au stade de Flacé et à son utilité première. C’est bien le transfert vers le stade Griezmann, encore sous-utilisé, qui s’opère pour le club de football RC Flacé, dépendant de l’union des clubs mâconnais, ou vers un stade nouveau au chemin de la Lye pour les Marshalls, club de football américain. Ce n’est pas tant le nombre de kilomètres à effectuer vers ces zones qui peut être préoccupant, comme déjà plusieurs usagers des clubs ne sont pas résidents locaux de Flacé, mais le principe même d’un éloignement, d’une externalisation et d’une concentration éloignée de la pratique sportive.

On retrouve ce même problème avec la suppression prévue d’un stade dans le quartier de La Chanaye, avec une nouvelle structure sportive prévue sur des terres agricoles, vers l’extérieur du quartier donc, après l’aérodrome et l’autoroute, chemin de la Lye. Si on peut regretter qu’un stade ainsi installé à Flacé ne profite pas à grand monde, on peut d’une part apprécier ce rare espace vert, d’autre part espérer qu’on conserve le principe d’un espace non artificialisé mais avec d’autres finalités.

Un tel terrain, en ville, en quartier, ce peut être un espace de rassemblement, un espace festif, un endroit préservé du bitume, un espace de loisirs, une zone ouverte. C’est toutes ces possibilités qu’on enlève au quartier. Le choix d’une privatisation pose question, c’est une perte d’espace public, tout simplement, une perte de maîtrise par la population sur des terrains maintenant précieux, rares…

Et la vente pour une école privée pose aussi question, il n’est pas interdit de regretter la mise en valeur d’un enseignement confessionnel, qui relève par définition d’une forme d’endoctrinement, d’autant plus quand ce choix revêt un impact problématique tel.

Un panneau d’information dans la Grisière (ou ce qu’il en reste, une page blanche pour l’avenir)

Et la suite ?

La logique d’urbanisation, d’artificialisation des sols, dans Mâcon, on le voit, n’est pas nouvelle. Elle est initiée dans les années 1960 au moins, avec des aises certaines sur les anciennes communes de Saint-Clément et de Flacé. Mais cette logique continue, dans une soif incessante d’accroissement urbain. Et c’est bien pour le profit de Mâcon que l’artificialisation des terres agricoles de Sancé se profile, au Nord, par exemple, et qu’on grappille dans l’espace mâconnais toute terre encore disponible.

Il paraît difficile d’aller à l’encontre de ce rouleau compresseur municipal, d’autant plus incarné par un maire et une majorité qui n’échangent pas, qui ne consultent pas, qui n’écoutent pas.

Les élus du groupe Mâcon Citoyens ont réagi très vite au projet de vente du terrain du stade, en s’y opposant d’abord, avec l’organisation de réunions publiques ensuite, puis avec la mise en ligne d’une pétition [5]. Un collectif indépendant a pris le relais, ce qui lui permet sans doute d’éviter le risque d’une récupération politique et la crainte des habitants d’être associés à un groupe politique précis.

La Rédaction