
Les Cahiers mâconnais de Péguy
Troisième exercice de style dans l’Indépendant mâconnais, se mettre dans la peau de Charles Péguy pour parler de Mâcon, sans concessions...
Avertissement préalable et nécessaire au lecteur
Quand on imagine Charles Péguy (1873-1914) se préoccuper de Mâcon, on ne peut essayer de reprendre son style sans considérer son caractère, son goût comme inné de la critique, sans concessions, sans exceptions. Cette honnêteté, elle peut être considérée comme maladroite, inutile, mais aussi comme un mouvement d’opposition à la morosité ou bien au fatalisme.
Pierre Deloire
On ne résiste pas aux bandes bourguignonnes
(inspiré d’extraits de Jeanne d’Arc, 1910)
Vingt siècles de chrétiens
Vingt siècles de saints
A Jeanne en l’éternelle
Entends les voix d’icelleCe n’est plus contre les Anglais
Mais les bannis non affiliés
Par la décision d’un seigneur
Un seigneur apathique, un seigneur alambiqueIl était le seigneur d’hier et d’aujourd’hui
Suivi las par ses ânes histrioniques
On lui en a maintes conté
Qui saura, bel, à s’engagerAprès tant de bataille une paix éternelle
Un journal sous intelligence artificielle
Un autre rédigé par mains autant que pieds
En y croisant là bien trop de publicitéQu’il est loin le temps de l’amour courtois
Terribles temps actuels des gauches maladroites
Qui gisent en étincelles, en bruit sourd de crécelle
Contre un inéligible un inintelligibleEt qui vote une loi non constitutionnelle
Aveuglé par ses maîtres, en inconditionnel
Libéral et oisif, politique évasif
Vont à hue et à dia dans leur monde abrasifOn les laisse exprimer dans les plus beaux atours
Avec pour seul credo ne pas croiser les sources
De ne pas les contredire, sauf que l’opposition s’oppose
Que le texte soit beau de même que leur pose
La Tapisserie mâconnaise
(inspiré de la Tapisserie de Saint-Geneviève, 1912)
Les charmes de Mâcon c’est tous ces petits blancs
Versés dans les canons, les Bourguignons au chant,
La moiteur viticole à tout côté des champs ;Les laideurs de Mâcon, c’est les nuages blancs,
Ceux qui bouchent la vue de face et sur les flancs,
Ceux qui montent des vignes traités au printemps ;Les charmes de Mâcon, c’est la clameur des gens,
C’est la venue du peuple à chaque événement,
C’est le vin et les jeux qu’on aime de tous temps ;C’est l’ancienne gargouille, au coin d’une ruelle,
C’est le tonneau qu’on garde en mémoire éternelle,
Le petit patrimoine on trouve pêle-mêle ;Les laideurs de Mâcon, c’est les parkings spacieux,
C’est les deux fois deux voies qui s’imposent aux yeux,
C’est le bruit des moteurs paradis des essieux ;Les charmes de Mâcon, c’est Griezzman et son foot,
Quand il sert un caviar, un but sur autoroute,
C’est les bars supporters et les bières à stout ;Les laideurs de Mâcon, c’est la vente en déroute,
C’est le commerce en crise et l’ode à banqueroute,
Dans le centre où l’on craint le doute et la redoute ;Les charmes de Mâcon, c’est le rugby des joutes,
Les passements de jambes et la passe filoute,
Les joueurs qui se répondent et surtout qui s’écoutent ;Les laideurs de Mâcon sont dans sa peine absoute,
Et l’ambition perdue, et la rigueur dissoute,
Dans l’édile elles sont là, tant qu’il s’en contrefoute ;Les charmes de Mâcon c’est l’ode à Lamartine,
Qu’on peut lire en terrasse avec sa grenadine,
C’est une salle sacrée musée des Ursulines ;Mais ça enlaidis là quand on la ripoline,
Quand on peine à masquer le goût de naphtaline,
De lieux qui baragouinent et qui nous embobinent ;Les charmes de Mâcon c’est le papier glacé,
Celui du magazine à nous de l’apprécier,
En ode aux décisions des élus adorés ;C’est aussi vitrine en village Potemkine,
Une certaine idée de cacher les famines,
Au risque d’observer là qu’on nous baratine ;Les laideurs de Mâcon la non-implication,
Devant l’autorité comme une abdication,
Et dans l’adversité, la non-opposition ;Les charmes de Mâcon sont ses associations,
Nombreuses options de récréation,
Dont pour les mieux choisis sont les subventions ;Les laideurs de Mâcon, les bannis du journal,
Et du débat public, et de l’info locale,
Quand ils ont critiqué l’aspirant caporal ;Les charmes de Mâcon c’est son contentement,
Retourner aux salons sans un atermoiement,
L’habitat, chocolat, c’est éternellement ;Les laideurs de Mâcon c’est ce consentement,
Laisser venir l’hypnose encore tous les ans,
Et lorgner vers ailleurs pour trouver son content ;C’est pour l’art du bitume à tant d’arbres battus,
Les oiseux rebattus, les oiseaux abattus,
En toute liberté les voitures polluent ;Les charmes de Mâcon c’est ses proximités,
C’est Paris à deux heures, Lyon toujours à portée,
La fuite en perspective à l’envie de quitter ;C’est l’âme des âgés qui narrent le passé,
La vieille académie dans son jus du passé,
La nostalgie de rues regrettant leur passé ;(poème qu’on peut continuer librement dans les commentaires !)
Les Cahiers de la Douzaine
(inspirés de la prose des Cahiers de Quinzaine, 1900-1914)
Les Cahiers reprennent selon leur libre irrégularité, sans les difficultés financières que suppose un journal de professionnels. Gloire au Journal de Saône-et-Loire et à ses journalistes, surtout quand ils seront délestés de leurs boulets idéologiques ! Il ne faut jamais dire jamais. Les Cahiers reprennent sans la pression que l’équipe s’est mise au départ, celle d’une régularité vaine. C’est le luxe qui nous anime de pouvoir écrire de temps en temps, de poser les faits, leur analyse, et de laisser vivre le propos, de laisser les mots-clés bien choisis les retrouver dans plusieurs jours, dans plusieurs semaines, dans plusieurs mois, dans plusieurs années, pour les passants du web.
Avec 22 articles seulement entre mars 2021 et juillet 2023, le travail n’a repris ensuite qu’en juin 2024. Le site reçoit 150 visites par jour ! Il faut sans doute en retrancher les visites des robots malveillants, les visites des robots bienveillants, les visites des robots surveillants, mais la moitié de 150 même cela reste beaucoup. Pendant longtemps l’article « Bienvenue en Courtoisie » fut le plus imprimé sur les écrans, avec le chiffre ô combien symbolique de 666 visites en première semaine. Mais il a été dépassé par la ZAC de la Grisière, plus de 30 000 visites, pour l’intégralité des textes à la manière d’Albert Londres, plus de 30 000 visites, quand l’aménagement du stade Jules Révillon et la pollution du web mâconnais tournent à près de 3 000. Le Pont aux Juifs qui nous tient à coeur, maintenant caché, ensablé, invisibilisé, en partie cassé, c’est plus de 10 000 visites et beaucoup de passants intrigués. On peut toujours regretter que les autres fassent moins, quand on sait tout le travail qu’ils ont exigé, mais il est encore tant qu’ils décollent, sur la circulation à Mâcon, sur la vidéosurveillance ou sur Flacé.
Les chiffres ne disent toutefois pas grand-chose, faut-il savoir qui vient, faut-il savoir qui lit. On le sait un peu, malgré l’absence de souscriptions, l’absence d’achats, l’absence de transactions, malgré l’absence de reconnaissances en masse. On sait qui lit, dans l’hôtel de ville, cherchant les auteurs parmi les têtes connues, s’inquiétant d’une vérité diffuse qu’on préférerait diffamatoire, mais qui ne l’est pas. Quitte à ce que la délation s’en mêle, quitte à ce qu’un être malveillant énonce publiquement un nom, comme au temps vil des pires délations. Quitte à ce que la délation ne protège plus les individus évoqués, quand ceux-ci ont besoin de se cacher pour énoncer le vrai, au risque d’en payer les frais. Aussi local soit-il, un régime peut être autoritaire, au sens où l’information diffuse peut avoir pour conséquence des remontrances concrètes. Mais les délateurs agissent pour eux seuls, pour leurs propres intérêts, pour leur propre renommée, quitte à manquer d’honneur et de civilité. On sait que les autres médias lisent, pour parfois pleurnicher devant la vérité, regretter la vérité diffuse.
Les Cahiers évoluent, tout aussi indépendants, avec le temps de la réflexion pour envisager la suite, les suites, le souci de donner de la matière à réflexion, d’éclairer les avis, pour l’avenir, loin des discours, loin des groupes, loin des affiliations, loin des filiations.
L’important, c’est de se détacher de l’existant, de celui qui décide seul. C’est le chef de la commue, celui de la communauté, c’est le chef de son équipe, c’est le chef des absents, c’est le chef de l’abstention, c’est le chef de l’absentéisme, c’est le chef autoritaire, et le chef des autorités, c’est le chef de service, c’est le chef du canon, le chef des chevaux, des chevaliers, des chevaleries, des chevalières, le chef de vieillesse et des vieilleries, celui des opprimés âgés, le chef du livre d’or et du papier glacé, c’est le chef du déracinement, de l’abattage et du béton, c’est le chef à la carte, à la tête du client, c’est le chef teigne, le chef qui ne rigole pas, le grand chef épais, naguère. C’est le patron des poètes mineurs et des grands footballeurs. C’est la poignée d’homme de pouvoir, c’est l’homme de poigne. Et comme cela ne vaut rien, tout ce qu’on lui oppose, tout ce qu’on lui dit, et c’est même vrai parfois, il passe dessus un vernis de mépris, et las qu’on vote pour lui. C’est le chef qui n’a jamais perdu un vote, faut-il croire.
Mais comme toujours en tel système démocratique, on ne peut pas blâmer l’homme pour ce qu’il est, pour ces indécisions, ces mauvaises décisions, ou le louer pour ces bonnes décisions, ces lâches décisions, ces décisions courageuses, ces décisions objectives, opportunistes, intègres, de copinage, ces décisions dures ou ces décisions molles. C’est le peuple qui a porté l’homme là, et l’a reporté las, et l’a reporté là, qu’il faut blâmer ou saluer selon ses goûts, selon ses observations, selon ce qu’on en subit ou ce qu’on en retire, tout le peuple sans exception, le peuple mâconnais qui oscille entre le travail, le chômage et les salons de l’habitat, entre les balades en bord de Saône et les dinosaures géants qu’on expose, comme un peuple qui fait ce qu’il peut par défaut, qui fait des choix par défaut. C’est un peuple en transit, un peuple inattentif, pas accueillant, peu expressif. En politique les talents sont partis ailleurs ou bien se cachent. La vie culturelle est fragile, la jeunesse est absente ou sur le point de partir. C’est un peuple humide et froid l’hiver, accablé l’été par les moustiques et la chaleur ; seuls avril et mai sont propices à des visages rieurs, encore faut-il être bon connaisseur.
Adieu Saône endormie, brumes de mon enfance
(inspiré de l’Adieu à la Meuse de Péguy, 1897)
Ô Saône qui ne sort plus guère dans la ville
Ô toi qui te console à noyer les campagnes
Toi qui aveugle tant les voies sur ton passage
Ô toi qui subit tant les hors bord si viles
Ô Saône préférée des canards et des cygnesQuand nous reverrons-nous, silures majestueux
Quand reviendrai-je là deviner vos nageoires
Quand verrai-je à nouveau sous une patinoire
Vos prouesses dans l’eau, vos larges coups de queue
Saône qui se réchauffe en un rythme onctueuxÔ Saône qui n’a plus de crues imprévisibles
Ô toi tumultueuses dans mes rêveries
Toi qui a perdu bras et rives si sauvages
Ô toi qui garde lit quel que soit le tirage
Ô Saône émerveillée par les brumes de l’âgeQuand nous reverrons-nous, promeneurs des quais
Quand reviendrai-je là traverser ce beau pont
Quand verrai-je à nouveau le touriste aux pontons
Tous ces cousins germains qui errent dans les chais
Saône qui se languit de ces cieux dégagés
Les oeuvres complètes de Charles Péguy sont disponibles à la Médiathèque de Mâcon !